Le 18 septembre, j’étais l’un des rares leaders des agriculteurs africains à participer, à Crans Montana, en Suisse, à une rencontre organisée par IDEAS centre, une ONG qui n’est pas à sa première action d’accompagnement des pays en développement.
La mondialisation, le développement, la lutte contre la pauvreté, l’alimentation, le coton, les relations entre l’Afrique et la Chine, ont été des questions que les experts ont longuement discutées au cours de cette rencontre.
Il faut réorienter les investissements vers l’agriculture
Les représentants des Etats africains présents ont reconnu que l’agriculture africaine n’a pas bénéficié de suffisamment d’investissements. Beaucoup d’intervenants ont cité le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) comme un élément ayant désorienté les politiques de développement en Afrique ; heureusement, ils n’en font pas la seule cause du retard de notre agriculture.
Avant comme après le PAS, grand-chose n’a pas été mis dans l’agriculture africaine et naturellement cette activité n’a pas produit les résultats attendus.
Autant nos décideurs sont responsables de cette situation, autant certains des partenaires au développement ont leur part de responsabilité.
L’Afrique reste pauvre. Sauf que cette pauvreté est moins apparente en ville car les décideurs et leurs partenaires ont toujours veillé à ce que les grandes villes aient l’essentiel (les hà´pitaux, les écoles, les routes).
Cela pour une raison simple : si ceux qui comprennent français ont le minimum, les décideurs sont rassurés car ce sont ces lettrés qui dispose d’assez d’information pour choisir objectivement et librement qui voter ; et lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, ils revendiquent!
Les partenaires sont au courant de ce procédé. Ceux qui font le « business » en Afrique savent que c’est sur la bouche des gens des villes qu’il faut mettre l’huile pour qu’il n’y ait rien.
Je trouve qu’il est temps que cette manière d’agir soit complètement revue. Il faut que les citoyens vivants en campagne, surtout qu’en Afrique, ils sont largement plus de la majorité, bénéficient des màªmes privilèges que ceux de la ville!
Un représentant de l’Inde à dit, à Crans Montana, aux représentants de l’Afrique « Respectez vos agriculteurs ». De retour à Bobo, pendant que je menais ma réflexion, j’ai entendu sur RFI, qu’une entreprise a renoncé à installer son usine de construction de voiture dans une localité parce que les paysans s’opposaient. Cela laisse croire que l’Inde applique déjà ce que son représentant a demandé durant la réunion.
Il est important que le paysan soit respecté si on veut sauver l’économie mondiale.
Pour le prouver, je donne l’exemple des Accords de Partenariats Economiques.
Si l’Union Européenne veut que l’on signe les APE, c’est simplement pour lui permettre de vendre tout ce qu’elle veut en Afrique, et si elle veut vendre, il faut que nous puissions acheter. Alors que pour le faire, il faut que nous ayons pu vendre quelque chose !
En résumé, l’application des APE suppose que tout les africains ait un revenu, le minimum au moins ; sinon, l’autre solution est que l’Afrique continue de s’endetter pour répondre aux besoins que l’on crée en elle.
Si nous choisissons la première voie, vendre, il y a des actions à réussir. Entre autres, désenclavés tous les terroirs en Afrique. Il faut aller au delà des grandes villes, tracer des voies jusque dans les villages pour que la majorité de la population puisse accéder au marché.
Je ne sais pas combien de temps il faudra aux pays pauvres pour disposer des moyens afin de construire des voies de communication. Mais ce dont je suis convaincu, est que tant que le milieu rural n’est pas désenclavé aucun programme de développement ne donnera des résultats durables.
A mon avis, la communauté internationale doit contribuer pour les actions essentielles. Il s’agit principalement du désenclavement, de l’intégration des producteurs dans l’économie mondiale, etc.
Il y a quelques années, nous avions offert une chance à la communauté internationale de montrer sa bonne foi et sa motivation pour un monde équitable. Nous demandions aux pays riches de donner un symbole qui ne leur coutait rien sur le plan financier et économique mais ils n’ont rien fait jusqu’à l’heure.
Ils sont enthousiastes pour la mondialisation, mais je pense qu’ils ne sont pas économistes sinon ils auraient mis tout le monde dans l’économie. Mais, du moment qu’ils n’ont pas réussit avec le coton, une spéculation qui n’est pas leur seule source de revenu et encore, n’est pas parmi les plus rentables pour eux, que peut on encore attendre €¦€¦€¦
La peur de l’Occident face au partenariat de l’Afrique avec la Chine
J’ai aussi écouté la peur que suscite le partenariat Afrique – Chine.
Lorsque j’entends les mises en gardes, j’ai honte. La Chine, qui n’est qu’à 59 ans de sa révolution, cherche une amitié avec l’Afrique qui expérimente déjà des chemins de développement ; et cette relation toute naissante fait peur à des gens qui sont bien installés en Afrique. Un continent qui a communiqué presque exclusivement avec l’Occident pendant plusieurs siècles.
Je pense que l’Occident doit avoir le courage d’analyser son partenariat avec l’Afrique, il ne doit pas s’inquiéter de l’arrivée de la Chine, mais l’observer pour tirer expérience de son approche.
La Chine a d’ailleurs bénéficié de l’expérience des pays de l’Europe pour se développer et entrer en Afrique bien que ces pays n’aient pas les màªmes manières d’agir.
« Ceux qui veulent notre bien » disent que la Chine va endetter et exploiter l’Afrique. N’est ce pas parce qu’ils pensent qu’elle va faire comme eux ?
Qu’ils le disent clairement car certaines relations ont laissé des habitudes malsaines dans les comportements des politiques et de la population africaine. Des habitudes que l’on craint que la Chine ne prenne.
Sinon, l’image que nous avons du Chinois est celui du patriote, de l’homme intègre, et pràªt à aider son compatriote.
Si les chinois sont fières de leur culture et donc de leur comportement, je ne vois pas pourquoi ils vont changer en Afrique ? Peut àªtre vont-ils plutà´t influencer les africains vers ce comportement patriote et fier.
Les chinois, màªme s’ils sont gentils, ne peuvent àªtre des faiseurs de miracles pour l’Afrique. Les chinois peuvent avoir des limites et peuvent faire des erreurs. Mais les africains doivent àªtre assez responsables pour abandonner les mauvaises habitudes, sinon elles peuvent faire glisser nos nouveaux partenaires vers des comportements opportunistes.
Je pense qu’il n’y a pas de mondialisation à demi mesure. O๠la mondialisation nous concerne tous, nous permet de communiquer avec qui l’on veut, o๠il n’y a pas de mondialisation !
Investir dans l’utile pour sauver l’économie mondiale
Sur la question de la crise financière, je pense qu’on ne met pas l’argent là o๠c’est utile. L’argent à ses règles. Dans les pays développés, il y a de moins en moins de secteurs d’investissements nécessaires et rentables comparés aux pays pauvres.
Lorsqu’on n’investi pas dans le nécessaire, cela se ressent. En ce moment l’argent circule que dans les transactions.
Conséquence : des subventions aux producteurs on se retrouve aux subventions aux banques !
Je pense que beaucoup d’investisseurs doivent réapprendre leurs leçons d’économie sinon la crise risque d’àªtre permanente.
Je le dit parce que si j’analyse la crise en la comparant à ce qui pourrait arriver dans une exploitation agricole, la solution est évidente. En tant que paysan, je sais que si je n’investi pas là ou c’est utile, mon argent peut me créer des problèmes !
L’initiative du caucus et surtout les idées qui ont été débattues, des opinions exprimées au cours de cette rencontre me rassurent car que des gens se soucient encore des problèmes que nous vivons.
Je remercie IDEAS qui, depuis toujours, a montré sa volonté à travailler et à accompagner l’Afrique.
Je suis convaincu qu’un jour il y aura des retombées positives de tous ces débats qui ont pu se mener grà¢ce à elle.
Bobo Dioulasso, le 03 octobre 2008
François TRAORE
Docteur Honoris Causa
Président de l’UNPC B, Président de l’AProCA